Blockchain et droit : quels défis pour les avocats ?

Jérôme DEROULEZ
 Avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles
Membre des Incubateurs des barreaux de Paris et de Bruxelles

 

L’irruption de la blockchain dans le paysage juridique suscite aujourd’hui des questions inédites. De l’univers des crypto-monnaies en passant par l’industrie musicale ou le secteur des assurances, de nombreux marchés et activités économiques sont désormais impactés ou en voie de transformation. La blockchain constitue un défi et un horizon indépassable pour les professionnels du droit et les avocats notamment, parce qu’elle concentre de nombreuses interrogations ou interpellations et qu’elle constitue aussi l’un des marqueurs les plus visibles de la révolution numérique.

Un défi ?

La blockchain ne cesse d’interpeller et de remettre en cause de nombreux fondements juridiques.

D’abord parce qu’elle ne connait pas de frontière : en effet, la blockchain reste historiquement liée au bitcoin, cette monnaie sans banque ni banque centrale, virtuelle, décentralisée, anonyme et dont la finalité reste de parvenir à un système monétaire sans confiance ni intermédiaire. C’est ainsi une disruption profonde qui s’annonce et qui remet en cause les circuits de distribution comme les rôles pré-établis tout en interpellant tiers de confiance ou certificateurs. Au-delà des enjeux de territorialité et de droit international privé et public, la blockchain rebat également les cartes des mécanismes de responsabilité, des modes de preuve, de la gestion de l’identité ou encore des dispositifs de compliance (lutte contre le blanchiment ou KYC par exemple).

Cette disruption s’accompagne aussi d’un intérêt marqué de la part des législateurs, qu’il s’agisse du projet de loi PACTE en France, de la résolution du Parlement européen du 3 octobre dernier appelant à une législation ambitieuse ou encore des prémisses de législation blockchain-friendly aux Etats-Unis (Ohio, Delaware, Arizona, Tennessee et Wyoming notamment). Passer du modèle du sandbox à une législation dédiée n’est pas forcément d’actualité au vu de la jeunesse de la blockchain, la priorité étant pour l’Union européenne, les Etats-Unis ou l’Asie de se positionner comme l’environnement le plus attractif et le plus propice au développement de cette technologie.

Les défis à relever sont dès lors nombreux à relever, qu’il s’agisse de prendre la mesure du potentiel de la blockchain et de ses applications ou d’en évaluer les conséquences juridiques pour l’ensemble des acteurs.

La blockchain constitue à ce titre un horizon indépassable pour penser la révolution numérique.

Intégrée et conjuguée à d’autres innovations, la blockchain permet en effet le développement de projets inédits jusque-là dans le domaine des objets connectés ou de la santé, avec des dispositifs techniques mêlant également l’intelligence artificielle ou l’utilisation en masse de données. Ces projets donnent la mesure des changements à venir, à l’instar du recours accéléré à la robotisation dans l’industrie.

Evaluer la portée juridique de ces innovations, leur cadre et leurs conséquences pour les personnes concernées constitue un réel enjeu qui comporte une part d’anticipation et de risque. Le développement du recours à la blockchain implique aussi de poursuivre une réflexion à la lisière du raisonnement juridique et de l’intégration des aspects techniques et technologiques, réflexion à laquelle participent les professionnels du droit en lien avec des débats publics intenses. C’est le cas par exemple en droit de la protection des données personnelles, avec la confrontation entre les principes du RGPD d’une part et la blockchain d’autre part à travers ses différentes variantes (blockchain publique, blockchains privées etc…).

Cette réflexion n’est pas seulement théorique ou académique, elle doit aussi intégrer des questions comme celle des nouveaux métiers du droit ou de leur intégration dans les structures existantes, de la montée en puissance de certaines branches du droit (droit des bases de données ou cyber sécurité par exemple) et de l’accompagnement de marchés émergents (fiscalité des crypto monnaies, IoT et intelligence artificielle émotionnelle, nouveaux circuits de distribution etc…)… Les aspects éthiques liés au développement de la blockchain ne doivent pas non plus être négligés.

Autant d’aspects qui invitent dès lors à mener cette réflexion à une échelle globale et internationale, les avocats pouvant en être les acteurs privilégiés.

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